Le Système De Castes

VARNAS ET JATIS

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Comment parler de l’Inde sans aborder le système des castes ? Une littérature très abondante y est consacrée reflétant l’esprit du temps des chercheurs. De l’admiration de certains orientalistes occidentaux du XIXᵉ pour une hiérarchie sociale bien ordonnée à la condamnation sans appel d’une pratique barbare par les marxistes ou les « subalternistes », tout et son contraire a été écrit sur un système qui est bien plus complexe qu’il n’y parait. D’abord parce qu’il est en deux temps, avec une hiérarchie verticale par varna et une division plus horizontale par jati et surtout parce que, contrairement aux idées reçues, ce système n’est pas figé depuis toujours, il a connu une évolution historique.

 

 

Seventy-two_Specimens_of_Castes_in_India_(36)Les origines

C’est dans les Veda, des textes sacrés de près de 3500 ans (voir article ‘Textes’ dans la page ‘Culture’), qu’on trouve l’origine des varnas. Il y est question du sacrifice de l’ « Homme primordial » (purusha en sanskrit) symbolisant la société dont les dieux séparèrent les différentes parties pour donner naissance aux varnas auxquelles on attribua des fonctions sociales : la bouche pour les brahmanes depuis détenteurs du savoir, les bras pour les kshatryias ou guerriers, les cuisses pour le peuple ou vaishyas (artisans, commerçants, agriculteurs) et les pieds pour les shudras (serviteurs). Tout ce système hiérarchique est fondé sur la notion de pureté : plus on est pur, plus on est haut dans la hiérarchie des castes. C’est ainsi que ceux qui ont des contacts avec des matières considérées comme les plus impures (cadavres, sang, excréments …) se trouvent exclus du système et sont considérés comme des hors-castes, ou « intouchables ».
Parallèlement à ce système, il existe un autre agencement : les jatis. Plus proche des corporations, ce sont les divisions fonctionnelles des varnas. Ce sont elles qui donnent le nom de famille (certains parlent de nom de « clan ») de la majorité des Indiens hindous, elles permettent ainsi de savoir à quel corps de métier la famille appartenait traditionnellement. C’est en fonction des jatis que se font les mariages, arrangés dans leur très grande majorité. La vie sociale indienne est bien plus marquée par cette division que par celle de varnas car c’est elle qui définit pour chacun des obligations personnelles, un svadharma, des règles de conduites suivant le jati auquel il appartient.

 

 


Redéfinition des castes à la période coloniale

Le mot caste vient des portugais qui effectuèrent en Inde, comme dans toutes leurs colonies, un classement selon la « pureté » ethnique des autochtones. Il semblerait qu’alors, aux XVᵉ et XVIᵉ siècles, la société indienne s’organisait plutôt selon le système des jatis que celui des varnas. Cependant, les colons successifs, dans leur besoin de comprendre l’organisation sociale pour mieux la dominer demandèrent aux « lettrés » indiens de leur expliquer la hiérarchie en vigueur. Les interlocuteurs privilégiés étant majoritairement des brahmanes, ils présentèrent aux administrateurs coloniaux le système des varnas, issu des textes sacrés de l’hindouisme, comme le principe organisateur de la société.

L’empire britannique renforça un peu plus cette division en varnas en effectuant à partir du XIXᵉ siècle des recensements au cours desquels des agents gouvernementaux demandèrent à chaque indien de définir sa caste. Certains Indiens changèrent alors de varna, volontairement ou même par ignorance car ils se définissaient plus par leur jati.

Le système des castes est tellement constitutif de la société indienne qu’il se retrouve même en dehors de l’hindouisme, chez les musulmans ou les chrétiens en Inde.

 

1024px-Seventy-two_Specimens_of_Castes_in_India_(51)Les castes et la constitution indienne

La constitution indienne rédigée après l’indépendance de l’Inde et ratifiée en 1950 stipule dans son article 15 qu’il est interdit de faire une discrimination selon la caste et l’article 17 déclare que le concept d’intouchable est illégal. En effet, jusqu’à cette période, les hors castes n’avaient même pas le droit d’entrer dans un temple hindou.

Pour compenser les inégalités sociales, on instaura un système de quotas pour protéger l’accès aux études et aux postes gouvernementaux des individus issus des strates inférieures de  la population. Cette mesure qui aurait dû durer 10 ans, le temps que l’Inde passe dans un système « égalitaire », est toujours en cours aujourd’hui. Elle a été étendue en 1989 aux « castes et tribus répertoriées » (scheduled castes and tribes) et est sujette à un débat constant car certaines minorités désirent bénéficier des avantages réservés aux communautés protégées alors que les castes supérieures s’estiment lésées par cette loi.

 

 

Seventy-two_Specimens_of_Castes_in_India_(3)Les castes aujourd’hui

Alors qu’on s’approche des 70 ans d’indépendance de l’Inde, la barbarie du système des castes dont Ambedkar (bras droit « intouchable » de Gandhi et rédacteur de la constitution indienne) pensait venir à bout n’a pas disparu. Il suffit, pour s’en rendre compte, d’ouvrir les journaux nationaux qui font état quotidiennement d’incidents dus à cette organisation sociale. Pour certains anthropologues, elle est si fortement ancrée dans la mentalité indienne qu’elle dépasse toute politique et toute religion. Toutefois, il est certain que le système de « réservations » de places à l’université et aux emplois dans l’administration a permis une évolution sociale. Cependant les lois ne suffisent pas, il faudra un changement radical de mentalité pour que ceux qui sont au sommet de l’échelle sociale traditionnelle se pensent les égaux de ceux qui sont en bas et que ces derniers arrêtent de voir dans leur position la conséquence de leurs vies passées (leur karma)…